L’appareil photo d’un photographe blessé, couvert de sang, au 15eme étage de l’hôtel Palestine le 8 avril 2003
L’armée américaine a fait entrer sa guerre dans mon hôtel. Des collègues tués, des collègues blessés, un journaliste à la jambe percée d’un trou. Oublié les compresses, la chair est carbonisée. Sur le tapis du couloir, un objectif blanc couvert de traînées rouges. Et le désir. Un homme coupé en deux sur le balcon.
Il était à côté de moi et je ne l’ai pas vu. Nous transportons un blessé dans un drap vers le lobby. “Parle-moi, parle-moi.” « Une avenue déserte, des réverbères, les branches des arbres qui dansent dans le vent poussiéreux du désert. La patrouille disparaît dans cette valse obscure. Je n’ai plus de repères. Il n’y a plus de lieu, plus de temps.»
«Je pourrais être n’importe où. Je pourrais être ailleurs. »
Depuis près de trente ans, Patrick Baz, photojournaliste à l’AFP, couvre les conflits qui secouent la planète, notamment au Moyen-Orient et surtout en Irak depuis 1998. Dans « Don’t take my picture. Iraqis don’t cry », il nous fait vivre, à travers son objectif, des instants saisissants de la guerre en Irak entre 2003 et 2008.
Les journalistes pris pour cible à Bagdad
L’hôtel dans lequel se trouvent la grande majorité des journalistes occidentaux à Bagdad a subi une agression meurtrière ce mardi. Les Américains ont reconnu en être les auteurs mais affirment avoir été contraints de riposter à des tirs. Une polémique qui illustre le grand danger que courent les journalistes pour informer depuis la capitale irakienne encerclée.
Dans la course à l’information, les Irakiens se sont montrées les plus rapides en réagissant les premiers à l’explosion qui s’est produite ce mardi dans l’hôtel Palestine, un établissement dans lequel se logent la plupart des envoyés spéciaux. Les journalistes qui venaient d’évacuer le bâtiment ont eu la surprise de voir arriver très rapidement le ministre irakien de l’Information, Mohammed Saïd al-Sahhaf.
Devant un parterre de journalistes encore sous le choc, il a accusé les forces américaines d’avoir mené plusieurs attaques contre la presse étrangère. «Ce sont des actes hystériques et voués à l’échec. Je pense que ces salauds ne gagneront pas», a lancé le ministre irakien.
Deux heures plus tard, les forces américaines confirmaient qu’un obus avait bien été tiré par un char américain sur l’hôtel Palestine. Selon un bilan encore provisoire, ce projectile a tué deux caméramen, l’Ukrainien Taras Protsyuk qui travaillait pour l’Agence Reuters et l’Espagnol José Coucho de la chaîne de télévision privée ibère Telecinco, et a blessé trois autres journalistes. Le général Buford Blount, commandant de la 3ème division d’infanterie de l’armée américaine, a justifié cette action: «un char était la cible de tirs à l’arme légère et de tirs (de grenades) RPG provenant de l’hôtel et a visé la cible avec une seule munition». Selon le général Buford Blount, les tirs ennemis auraient ensuite cessé.
La version américaine a été immédiatement battue en brèche par une équipe de télévision de la chaîne France 3 qui a filmé l’intégralité de la scène. Elle se trouvait dans un autre bâtiment à environ 600 mètres de l’hôtel Palestine et suivait avec attention les mouvements du char. «Je n’ai entendu absolument aucun tir en direction du char qui était positionné à l’entrée ouest du pont Al-Joumhouriya (le pont de la République», a affirmé mardi Hervé de Ploëg, journaliste-monteur en contrat avec la chaîne française. Il a vu le char prendre clairement son temps avant de prendre l’hôtel pour cible. «Ce n’était pas un tir réflexe», a assuré Hervé de Ploëg.
Le lourd tribut des médias
La réaction de la Fédération internationale des Journalistes (FIJ) ne s’est pas faite attendre. Aidan White, son secrétaire général, a estimé dans un communiqué que tous les tirs visant des journalistes en Irak étaient assimilables à des «crimes de guerre» dont les auteurs devaient être jugés. «Le bombardement d’hôtel où logent des journalistes et le fait de prendre des médias arabes pour cible constituent des faits particulièrement choquants pour une guerre lancée au nom de la démocratie. Ceux qui en sont responsables doivent être traduits en justice». Aidan faisait ainsi référence au bombardement mardi des locaux à Bagdad de la chaîne de télévision satellitaire qatarienne Al-Jazira. Un de ses correspondants dans la capitale irakienne, le Jordanien Tarek Ayoub, a été tué et un autre collaborateur de la chaîne blessé. Al-Jazira a accusé les Etats-Unis d’avoir pris pour cible ses bureaux, rappelant que ses locaux avaient déjà été bombardés dans la ville irakienne de Bassorah voilà quelques jours, tout comme ceux de Kaboul en 2001 lors de la guerre en Afghanistan.
L’organisation de défense de la presse Reporters sans frontières (RSF) s’est dite, pour sa part, «atterrée» et «indignée par l’attitude de l’armée américaine dont le comportement n’a cessé de se dégrader vis-à-vis des journalistes, notamment non incorporés, depuis le début de cette guerre». Ce lourd bilan meurtrier a incité l’Union européenne à faire une démarche auprès des Etats-Unis en faveur de la protection des journalistes. Un appel qui intervenait quelques heures avant qu’un correspondant de la télévision satellitaire d’Abou Dhabi ne lance un S.O.S. aux organisations humanitaires et de défense de la presse, pour sauver un groupe de 25 journalistes et techniciens «encerclés» dans le bureau de la chaîne à Bagdad. Le journaliste a affirmé que les bureaux se trouvaient dans une zone «où des missiles et des obus s’abattent de manière incroyable» et a demandé au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), d’intervenir d’urgence.
Le nombre de journalistes tués en Irak s’est considérablement alourdi depuis le début de l’offensive militaire lancée contre Bagdad. Lundi, l’Allemand Christian Liebig, qui travaillait pour l’hebdomadaire allemand Focus, et l’Espagnol Julio Anguita Parrado du quotidien El Mundo, ont été tués par un missile irakien près d’un centre d’opération américain installé à quelques kilomètres au sud de Bagdad. Tous deux étaient des journalistes «incorporés» au sein de l’armée américaine et suivaient le déplacement de la 3ème Division américaine d’infanterie. A ce jour, onze journalistes sont décédés en Irak et deux membres de la télévision britannique ITN sont portés disparus depuis plusieurs semaines. Le nombre de journalistes étrangers présents dans la capitale irakienne est évalué à trois cent, un chiffre en augmentation avec l’arrivée des journalistes incorporés dans des unités de la coalition militaire américano-britannique.
par Olivier Bras